Coin de rue, dans mes carnets de voyage d'enfance.
Là, il y avait une maison de laboureur, architecture typique, une largeur pour les gens, une autre pour les bêtes, la troisième pour le fourrage. Règle des trois tiers. Dormir, travailler, travailler.
Mais c'était il y a longtemps.
Là, il y a longtemps, des gens ont vécu. Des femmes ont souri, des hommes sont rentrés à la nuit tombée. Des enfants ont joué, se sont blessés. Des voix chaudes les ont consolés, dans cette maison.
Des mains remplaçaient des tuiles, parfois. D'autres, quand il le fallait, plaçaient de nouvelles pierres, pour remplacer celles fendues par le gel ou le temps, dans des murs sans âge.
Elle a été agrandie, cette maison. Embellie. En la regardant on croyait voir cette femme qui l'avait habitée, après l'avoir héritée de celle à qui elle ressemblait tant. Dont elle voulait être digne, dont elle voulait respecter le souvenir en entretenant à son tour la maison.
Il y avait même des rideaux de vraie dentelle aux fenêtres.
Il ne restait plus que cela, à la fin.
Avec un papier-peint passé, vert à fleurs blanches. La cuisine, peut-être ? Qu'on voyait à travers un carreau de verre blanc, cassé à force de chocs de la fenêtre ouverte contre le mur, et le vent, et la fenêtre soufflée, fracassée sans personne pour avertir du courant d'air. Sans personne plus jamais pour avoir pitié de la maison, du souvenir de la femme en jupe immobile, sérieuse pour la photo, sur son seuil, sans personne plus jamais pour regarder ces photos. Personne pour se souvenir des liens de parenté. Personne pour les prénoms, les rires. Les souvenirs, plus personne. Plus de souvenirs.
Plus de vie dans cette maison.
Des pleurs lents de pierre aux tempêtes successives. Le calcaire blanc qui s'effrite, les fissures qu'on a peur de réparer, qu'on ne sait plus réparer, en réalité. Les fenêtres qui tombent de s'être trop battues contre les courants d'air.
Et un jour, balayée, la maison hors d'âge. Démolie un après-midi de soleil comme si le nouveau siècle savait mieux à lui seul que la somme des ancêtres qui avaient vécu là.
Soufflée comme un simple carreau de verre blanc.
Oubliée. Niée. Et les mains qui avaient monté ces murs ?